dimanche 3 octobre 2010

Les pirates de l'ère




Sur l'océan du web surfent de bien vils bandits : les pirates.

Alors avant l'invention des réseaux de partage peer to peer, les pirates informatiques étaient des gens très forts en informatique qui pouvaient pénétrer le système d'une banque ou d'une base de lancement de missile. Aujourd'hui le pirate c'est le trentenaire qui télécharge Toy Story 3 pour ses gosses.

A l'heure où le piratage et l'adoption de la loi hadopi 2 font couler beaucoup d'encre, on ne s'appesantira pas sur la morale de l'acte ou sur le bien fondé d'une répression. Ce qui nous intéressera ici, c'est plutôt de constater qu'aucune réflexion sociologique ne vient jamais enrichir le débat, qui se résume quasiment toujours à une question de droits d'auteurs et de droit pénal.

Or ce phénomène touche des millions de gens de toutes les couches de la société. Et grosso modo, tout le monde se moque d'entamer une réflexion dessus, résumant le pirate à une personne qui veut avoir un truc gratuit.

Or si c'était aussi simple, si les gens n'avaient plus de moralité aucune, les vols de DVD et CD exploseraient. Mais non, rien de tout cela. Pour autant il y a bien vol. Pourquoi n'appelle-t-on pas les pirates des voleurs alors ? Par simple extension du terme jadis réservé au professionnels malveillants de l'informatique ? Non car ces derniers ont été rebaptisés "hacker" ou cybercriminels" par notre société toujours friande de novlangue. Alors pourquoi n'a-t-on pas appelé le pirate, un "cybervoleur" ou un "illegal downloader" ? Pourquoi ce terme si désuet ?

Et bien car c'est celui qui en est la parfaite définition.

Étymologiquement, le terme pirate vient du grec peiratas, venant lui même du verbe peirao siginifiant "tenter sa chance dans l'aventure" et du latin pirata, "celui qui tente le fortune, qui entreprend".

Mais quel est donc le rapport avec notre downloader de films de Bruce Willis et d'albums de Florent Pagny ?

Et bien le pirate du dimanche soir cherche bien souvent dans cet acte une satisfaction aventurière dans sa vie de confort moderne. Tout comme celui qui va lorgner sur un site pornographique cherche une brève mais réelle excitation sexuelle et un goût de la transgression, le pirate cherche un bref instant d'adrénaline dans la quête de l'objet de son plaisir qu'il réussira ou non à trouver et ce, en plus ou moins bonne qualité. Il se lancera sur la mer du web pour aller y faire fortune.

Et le pirate transgresse, il le sait et en tire une satisfaction, soit celle de l'adrénaline, soit celle de l'acte contestataire.

Oui mais tout voleur, même celui qui prend un stylo au guichet de la poste, vit un instant de transgression, alors pourquoi le terme de "pirate" et pas celui de "voleur" ?

Car le pirate ne se considère pas comme un voleur. Il ne détrousse personne. Il ne fait pas de mal. Il sait que c'est interdit mais ne trouve pas l'interdit légitime et c'est là que cela devient très, très intéressant.

Les pirates (à ne pas confondre avec les corsaires qui agissent sur ordre royal pour aller saborder des navires de pays ennemis) sont des bandits sillonnant les océans en groupe et s'en prenant aux navires marchands.Ils avaient un code de comportement très strict, notamment sur le partage du butin qui se devait d'être équitable entre les membres d'équipage, le capitaine ayant une plus grosse part mais jamais supérieure à 25% de plus qu'une part de l'équipage. Ils respectaient les vies des abordés autant que faire se peut et n'étaient là que pour piller le butin des riches compagnies de commerce maritimes.


Nous y voilà, le pirate domestique a aujourd'hui l'impression de ne s'en prendre qu'à de grosses compagnies qui s'engraissent sur son dos. Le paysage culturel étant devenu une histoire de marketing et de produits insipides calibrés uniquement pour être vendu à une masse, on en oublie l'artiste, considéré comme complice de ce pathétique et bruyant carnaval de la consommation, tant on le voit gesticuler dans des talks shows pour nous vendre sa dernière galette. Le pirate en a assez de ce spectacle de richesses exubérantes et de carré V.I.P., et ne trouve pas grave de ne pas donner son argent à ceux à qui tout semble réussir.

Bien souvent le pirate est quelqu'un qui respecte les codes et valeurs de la société, travaille et paye ses impôts, des crédits et les produits qu'il consomme. Bien inséré dans notre société de perpétuelle innovation ,il s'équipe en produits technologiques toujours plus performants et trouve donc finalement normal d'utiliser son accès internet ultra haut débit (qui soyons clairs n'a aucune utilité pour écrire des mails ou surfer de façon basique) pour télécharger des fichiers qu'il pourra ensuite lire sur une batterie d'appareils qu'on lui vend exprès pour (smartphone, disques durs multimédias qui se branchent sur la télé, TV écran plat avec prise HDMI directement reliées à l'ordinateur).

C'est là tout le paradoxe de l'hyperconsommation et de la libre concurrence. Pour prospérer l'industrie du net a tué celle du disque car répétons le, sans le téléchargement l'usage d'internet serait moindre et le ultra haut débit serait ultra inutile.

Donc pour le pirate, il y a une atténuation de la transgression du fait qu'il continue à donner son argent à la société de consommation, seulement il ne la donne plus à des disquaires mais à des fournisseurs d'accès internet et à des magasins de produits technologiques. C'est une évolution des choses, tout comme les pièces radiophoniques, diffusées gratuitement, ont nui au théâtre et tout comme la télévision a nui au cinéma en proposant des films gratuits.

A qui va l'argent ? Ce n'est pas l'affaire du pirate consommateur, il paye son fournisseur d'accès internet donc s'estime en règle. Il a juste changé ses habitudes de consommation mais ne commet pas dans son esprit un vol au sens premier qui donc ne lui ferait plus dépenser d'argent, il a tout simplement trouvé un moyen plus avantageux de satisfaire son immense appétit de produits culturels. Car il est de plus en plus ardu de pouvoir garantir la satisfaction de la boulimie créé par le marketing constant et la déferlante de produits auquel le consommateur est soumis. Car l'effet insidieux du marketing est de constamment créer de nouveaux besoins, de nouvelles frustrations qu'il devient vital de satisfaire. Le pirate peut donc se concevoir comme un drogué pillant la cave d'un dealer ayant créé son besoin pour s'enrichir dessus. La conception immorale de la chose n'est alors pas automatique et est source de débat.

D'ailleurs le pirate ne pirate rien a proprement parlé, il ne va pas forcer des sites de vente de vidéos en lignes, il met simplement en commun ses ressources.

C'est là que le bas blesse pour la société dans laquelle nous vivons ou la gratuité est un crime. Tout doit être payé et le pauvre est coupable de l'être. Or les pirates, ne sont en fait que des gens mettant leurs films à disposition des autres et allant également copier un film de la collection du voisin. Le pauvre peut avoir autant que le riche.

De vraies communautés d'esthètes s'organisent, il y a des millions de blogs ou de sites permettant de télécharger des films de genre, de la musique introuvable ou chacun pourra trouver la pépite qui manque à sa collection. Il y a deux règles d'or sur la majorité des sites, qui ne prévalent pourtant plus dans nos sociétés, c'est de remercier celui qui a mis un fichier en ligne et de soi même en mettre à disposition ou de permettre l'utilisation de sa bande passante pour le téléchargement par un tiers du fichier (principe du torrent), si l'on ne respecte pas ses principes, on ne peut pas accéder aux liens de téléchargement ou on risque un bannissement du site. Le pirate est donc courtois et fonctionne sur une logique de redonner autant qu'il a eu, c'est toute la logique de la consommation de masse qui est ébranlée.


Voilà pourquoi il n'y a pas de notion de vol pour le pirate, hormis celle du marchand, considéré comme un infâme bourgeois s'engraissant sur le dos des honnêtes gens en méprisant le public, tant on nous vend des films comme de la lessive.

D'ailleurs il est usuel dans le mode de consommation du pirate d'acheter les disques des petits artistes indépendants ou d'aller voir leurs concerts, leurs films encourageant ainsi leur création.

N'oublions pas aussi que la société postmoderne a créé l'immatérialité des gens, du travail, de l'argent, notamment grâce à l'informatique et du net. Cela permet aux multinationales d'adopter les politiques que l'on connait où l'humain n'a plus de poids mais cela a aussi permis la dématérialisation des supports de produits culturels (sauf du livre dont la version numérique ne connait pas de réel envol). Or il est très difficile de concevoir que l'on vole ce qui n'existe pas.

La société a également créé une sur-accélération du temps. Il faut manger vite, travailler vite, s'informer vite, et consommer vite. Tout est jetable, à peine existant que déjà remplacé par la nouveauté. Le produit culturel n'échappe pas à cette règle et pour nous en vendre plus, la société nous a appris à désacraliser l'œuvre à la consommer ou la jeter et passer à une autre, ce que le pirate a parfaitement compris et applique au quotidien.

Le piratage est à la fois un monstre de Frankenstein créé par une société qui veut vendre sur tous les fronts sans penser au télescopage fatal que cela produira, et à la fois une révolte active mais non violente face à la pressurisation mercantile dont nous faisons tous l'objet.

Il y a là en tous les cas des symptômes d'essoufflement d'un modèle de société , et si on y regarde d'un peu plus près, on s'aperçoit que cette gratuité acquise remet en cause tout un système qu'il faudra de toute façon rénover. Comment ? Ce n'est malheureusement pas l'axe de recherche posé par la politique de répression qui s'annonce et qui une fois encore jouera la politique du bras de fer plutôt que celle du dialogue ou chacun pourrait avec un peu de bon sens aboutir à un compromis satisfaisant pour tous comme de taxer les FAI afin de reverser des droits à la Sacem ou autre solutions du même type.

L'état prend donc ici le risque de plonger une majorité dans l'illégalité, ce qui symboliquement rend l'exercice d'un pouvoir démocratique très complexe car sa légitimité est justement basé sur l'accord avec la majorité. L'avenir nous dira quels seront les conséquences de telles mesures qui ont aussi pour but, rappelons le de contrôler les accès internet domestiques mais ça c'est une autre histoire dont nous parlerons prochainement.

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