mercredi 15 septembre 2010

A quoi tu marches ?




Punk, tu marches, tu traces ta route. Toujours tu vas, tu restes et tu repars. Mais t'arrive-t-il de te demander pourquoi tu marches ? Bien sûr que tu le sais, tu vas à ton rendez vous, faire les courses, bosser, voir des amis etc. Marcher c'est anodin, et pourtant est ce que cela ne mérite pas qu'on s'y arrête un instant ?

Kenji Tokitsu, grand maître de karaté, raconte par exemple avoir commencé les arts martiaux car un matin en se rendant à l'école, il chercha à se sentir réel alors qu'il marchait. Il voulait ressentir une preuve concrète de son existence au travers de ses pas. Il n'arrivait pas à se trouver "existant" de façon tangible ce qui fit naître un sentiment de malaise qu'il combattit en entrant dans un dojo afin de pratiquer l'unité du corps et de l'esprit.

La réalité de la marche c'est quoi ? Mécaniquement, c'est l'action de basculer son corps dans le vide est de se rattraper avec la jambe. Marcher c'est se jeter dans le vide et ensuite se stabiliser. C'est donc ce que la nature nous enseigne pour avancer dans la vie.

Or que préconise finalement la coercition de nos sociétés de confort ? Exactement l'inverse. "Si tu veux bien avancer dans la vie, n'avance qu'en terrain conquis et saute dans le vide quand finalement le vide sera un terrain balisé" Approche Impossible ou carcérale, et surtout mue par la peur. Car bien entendu c'est la peur de l'inconnu qui paralyse, tétanise le mouvement. Cela d'ailleurs se retrouve dans la marche la plus quotidienne, lorsque l'on sait où on l'on va, on a tendance à accélérer le pas, voire à s'énerver de la lenteur des autres. Quand on ne sait pas, qu'on a une hésitation, on s'arrête forcément. La peur de l'inconnu, de s'égarer et de ne jamais en revenir. Tout cela à un sens symbolique bien entendu mais pas que.

Selon Freud, un vieux monsieur qui est sûr que tu rêves de tripoter ta mère, la peur de l'inconnu c'est tout simplement la peur de la mort. Ce raisonnement, qui peut paraître se complaire dans la tragédie grecque, est en fait très logique. La mort est la seule chose dont nous n'avons aucune représentation et qui pourtant nous attend tous et de plus surgira sans prévenir. Chaque jour nous vivons avec cette donnée inconnue qui peut intervenir de façon définitive dans tous nos petits plans. Y a de quoi baliser un peu quand même. Mais comme on va pas se trimballer toute la journée en se disant : "je vais mourir, je vais mourir" (sauf les gothiques) on transfère sur la peur de l'inconnu. La mort c'est l'inconnu donc l'inconnu c'est la mort et tout ce qui est analysé, balisé, connu est donc par opposition la vie. Mais où nous mène cette peur ?

Il est à noter que bien souvent lorsqu'on veut à tout prix fuir quelque chose, on y arrive par son contraire.

Qu'est ce à dire ?

C'est à dire que là, si on s'arrête de marcher par peur de l'inconnu (je ne sais où je vais, je me fige), on s'arrête donc par extension par peur de la mort, la grande inconnue, or s'arrêter, se figer, c'est l'expression même de la mort. On arrive donc à un état de mort symbolique provoqué par une peur symbolique de la mort.

Il est donc important de marcher, toujours, pour rester en vie. L'immobilité, le temps suspendu n'existe pas. Le monde est en mouvement et celui qui n'avance pas recule. Avancer à tout prix, mais en soi, pour soi car il y a là un humanisme et non un égoïsme. En effet, lui qui se libère permet à ceux qui souhaiteraient être libres de voir que cela est possible et d'y puiser des ressources pour alimenter leur propre quête. Celui qui en revanche s'enferme, enfermera les autres automatiquement, par son discours ou son exemple.

Oui mais alors devons nous avancer à l'aveuglette quitte à nous écarter de notre chemin, prendre des murs ou tomber dans des pièges ?

Une conception logique des choses voudrait que l'erreur, qui est le fondement même de l'expérience, soit considérée comme utile car fondatrice de la définition de soi. le fameux "l'erreur est humaine" peut avoir un sens plus profond que la banale excuse à la faute. On peut aussi interpréter ce proverbe comme l'affirmation que l'erreur est constitutif de l'humain, que la reconnaître nous permet de mieux nous atteindre. Pourtant notre société nous intime la peur du risque de se fourvoyer, elle nous le fait même ressentir comme un danger mortel.

Car accepter l'erreur, c'est tenter l'aventure, s'écarter du chemin tracé or le groupe n'aime pas les entités individuelles. Seul l'individu peut aimer l'individu, le groupe n'aimera le bien être individuel que si il peut être partagé par le collectif. Donc s'écarter d'un chemin prédéterminé est toujours mal vu, sauf, grande illusion du marketing, si c'est pour en faire emprunter un autre tout aussi prédéterminé mais qu'on déguisera en chemin de traverse, vendant ainsi de l'aventure ou de la rébellion de quatre sous à des individus ainsi persuadés d'être anti-conformistes en consommant.

Pour éviter les envolées personnelles, le groupe met en place des écrans de fumées, des légendes qui font peur, sur le destin tragique des imprudents qui s'écarteraient du chemin qu'on leur trace. C'est l'invention du tabou, qui, bien avant d'être un "sujet de conversation dérangeant", est un système reposant sur le religieux, donc la croyance. Le tabou est l'expression négative de la croyance, elle passe principalement par une prohibition : le chef des croyants désigne une pratique, un acte, voire une personne comme tabou, donc non seulement impure mais également dangereuse et contagieuse. Le tabou est toujours couplé à la notion de punition, de châtiment divin, si on le transgresse la fatalité s'abattra irrémédiablement et viendra d'une puissance occulte supérieure. Et celui qui rentre en contact avec le tabou, même par erreur, sera lui aussi châtié car considéré comme contaminé. Mais qui dit ça ? Qui nous le prouve ? De simples humains s'étant investis du don de parler aux Dieux, d'en prévoir les châtiments et qui généralement ont un intérêt à les prédire.

Tout ceci n'est qu'une logique de la terreur, qui est rappelons le "une peur collective que l'on fait régner dans le but de briser une population". Tous ces tabous concernant la mobilité, l'élan vital, la spontanéité du désir de vie ne reposent sur rien d'autre qu'une volonté de maitrise de l'individu afin de l'insérer dans un groupe. Mais qui veut ça ? Le groupe ? Non, ses dirigeants qui en revanche s'appuient sur la masse conquise pour faire pression sur les réfractaires et donne ainsi l'illusion que tous partagent leurs vues.

Oui mais marcher dans tout ça ?

Et bien marcher est très révélateur du conditionnement qu'on nous inflige. Partout il faut , marcher sur le trottoir, éviter le bord du quai, et surtout suivre les flèches, les panneaux, attendre aux feux. Toute cette infrastructure a bien entendu été conçue dans un but de bien vivre ensemble, en toute sécurité. Il serait idiot et dangereux de prôner de marcher sur la route,sur la voie ferrée ou de traverser aux feux verts. Pourtant, si on s'écarte de l'esprit pratique nécessaire pour aborder le symbolisme, on peut vite se rendre compte que notre corps est instinctivement habitué à suivre des ordres sensés garantir sa sécurité et son intégration.

Or ce sont généralement les mêmes ressorts qu'on nous invoque pour nous faire rester dans une case qui nous convient mal. A l'heure où la consommation s'axe de plus en plus sur la personnalisation des produits et services, la société est en revanche extrêmement réticente à l'idée de l'envolée personnelle, presque toujours dépeinte comme une multitude de sources de dangers anxiogènes et fatals qui s'abattront sur le voyageur imprudent qui ose le hors piste.


Avant on interdisait des territoires réels avec des peurs symboliques, "ne va pas dans la forêt la nuit il y a des esprits", "il y a un monstre dans la montagne". Aujourd'hui le territoire est symbolique, celui de l'espace de vie personnel mais les peurs agitées devant notre nez reposent dorénavant sur un réel mais distordu par une paranoïa catastrophiste."Si tu quittes ton job aliénant et que tu ne retrouves pas de boulot, tu vas être au chômage, puis en dépression et des troubles graves en découleront voire peut être le suicide ou en tout cas une mort sociale assurée".

Si cette vision est castratrice et basée sur du fantasme, la montagne n'en reste pas moins dangereuse aux imprudents. Or qu'est ce qu'un imprudent ? Un imprudent est quelqu'un qui va trop vite en besogne, quelqu'un qui marche trop vite sans regarder où il va. Celui qui avance lentement, en s'écoutant et en écoutant son environnement peut même trouver son chemin dans l'obscurité la plus complète.

Or la société nous dresse à continuellement aller vite tout le temps pour tout, nous offrant finalement de nous rendre à la mort en faisant semblant de proposer de la fuir. Comment ? par le paradoxe de la glorification de la vitesse.

Pour la société occidentale moderne, aller vite c'est être puissant, vivant. Les voitures vont vite, la mode va vite, les ordinateurs vont vite, la technologie va vite, l'information va vite, l'économie va vite,et tout cela est sensé être synonyme de vie, de puissance, de maitrise. Or si on réfléchit deux secondes c'est tout l'inverse. La vitesse c'est l'incontrôlable, l'irraisonné, la mort.

Lorsqu'une voiture va vite, les risques d'accidents sont plus nombreux, et leur gravité également. Lorsqu'on a accès très vite à une information ,on la survole, on la dévore, et bien souvent on en oublie l'essentiel. Lorsqu'on prend une décision de façon soudaine et rapide, il y a de fortes chances qu'elle soit irréfléchie et donc amène son lot de complications. Lorsqu'on est constamment soumis à la pression de la vitesse, on ne se dirige plus qu'en fonction des obstacles à éviter sans même se demander où on va, rendant ainsi toute notion d'aventure personnelle impossible.

Il faut donc désapprendre la vitesse pour revivre l'aventure.

Et pourtant, les rythmes de vies et de travail ne cessent de s'accélérer car les entreprises ont de la marchandise à revendre et du profit à faire. Les modes ne cessent de se renouveler et la technologie devient obsolète à peine sortie. Les flux d'informations s'emballent, nous sommes passés du courrier au téléphone, au téléphone mobile, aux SMS, à la boite mail, au facebook, au twitter, au smartphone ... il faut être disponible "à l'instant T", "tout de suite","ASAP", réagir et renvoyer l'info.

Seulement voilà, que sommes nous dans tout ça ?

Des supers analyseurs winners hypra performants ? non malheureusement.

La plupart du temps, l'information et son mode de consommation nous est imposé par un tiers, comme une balle qu'on nous lancerait et qu'on nous dirait de renvoyer de telle ou telle façon. Nous ne sommes absolument pas maîtres de notre rapport à cette vague perpétuelle de modes de réactions sociaux ou professionnels décidés par des "leaders d'opinion" dont il faut suivre "la tendance" sous peine d'être banni du groupe.

Nous voilà donc transformés en superbes chiens de concours, dressés et dressables à merci, afin d'effectuer de plus en plus de tours pour récolter quelques applaudissements de maîtres satisfaits ou d'un public souriant. C'est le syndrome de l'athlète qui court perpétuellement, sacrifiant son corps et sa vie pour battre des records à l'infini sans que cela n'ai finalement aucun sens. Si nous fumes des lions nous prélassant dans la savane, aujourd'hui la société d'hyperconsommation nous contraint à bondir mais dans des cerceaux.

Et marcher dans tout ça ?

Marcher est un des rares actes où l'on est à soi. Il est donc intéressant de se demander comment on le conçoit, comment on le pratique. C'est aussi un acte que lequel on peut agir immédiatement, sans que cela ne doive remettre en cause toute une chaîne de paramètres de son quotidien.

Se demander comment on marche ouvre de multiples fenêtres de réflexions : suis je ancré dans le sol ou suis je en survol permanent ? fais je attention à ce qui m'entoure ou est ce que je fonce à l'aveuglette ? et si je fonce, pourquoi ? parce que je suis en retard ? parce que je suis pressé ? parce que les autres marchent vite ? Parce que finalement je m'autodresse à être dans une phase de rendement, d'efficacité même lors de l'activité la plus anodine ?

Viendra alors un test intéressant, sorte de petite expérience sensorielle, intellectuelle et émotionnelle : ralentir. Ralentir son pas sans raison autre que de voir ce que ça fait. Si on ralentit le pas, bon nombre de choses se mettent à apparaître : les autres en premier lieu, qu'on a le temps de croiser comme des semblables au lieu de les considérer comme de perpétuels obstacles hostiles qui nous empêchent d'avancer ou menacent de nous heurter de plein fouet, on peut ensuite prendre conscience de son corps qui redevient une entité vivante et non plus juste une locomotive qui nous trimballe d'un point à un autre, on redécouvre le sol et sa présence concrète qui nous rappelle à des valeurs simples de notre animalité, et surtout on se demande pourquoi on se pressait, et de cette question découle pas mal de choses. On peut également se rendre compte sur le terrain si oui ou non, il est utile de se presser et si oui ou non le ciel va nous tomber sur la tête parce qu'on ralentit la cadence.

Choisir de ralentir à un instant donné, c'est surtout décider de choisir son rythme. N'oublions pas qu'une des principales démonstrations du totalitarisme se résume par le spectacle d'êtres humains en uniformes marchant au pas, n'allant nulle part mais y allant sous une forme ordonnée et contrainte, comme si c'était là l'expression de la civilisation.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire